La crise qui se développe depuis mi-2008 et dont on est loin d’avoir vu le fond et toutes les conséquences, a un caractère original qui tient à la convergence des composantes financière, économique, sociale, écologique, culturelle et politique ; et toutes ces dimensions, au lieu de compenser l’une par l’autre leurs effets, se cumulent dans une spirale dont on ne voit ni l’issue ni la durée.
Cette convergence fait que la crise n’est pas une crise « traditionnelle » de surproduction ou de sous-consommation. Elle met en cause les fondements mêmes sur lesquels sont construites les sociétés capitalistes occidentales et qu’elles ont jusqu’ici imposés à l’ensemble de la planète :
- l’homme maître et dominateur de la nature,
- le progrès quantitatif sans limite et les dominations de l’économique sur le social et le politique, du quantitatif sur le qualitatif,
- la foi dans la supériorité des vertus de l’initiative individuelle, de l’entrepreneuriat, de la concurrence, de la recherche du profit maximal.
Ces fondements, qui forment paradigme, ont conduit tout à la fois à un réel développement économique et à la domination économique, politique et militaire de l’Occident. En même temps, se sont développées de profondes inégalités et des crises récurrentes. Ces tensions et contradictions ont amené le développement du mouvement ouvrier, de mouvements sociaux, qui ont conquis des droits économiques, sociaux, culturels, jusqu’au compromis « fordiste » des lendemains de la Seconde guerre mondiale, dont les services publics et plus généralement « Etat-providence » ont représenté un élément clé ; le fordisme se s’est inscrit dans le paradigme dominant en lui donnant un caractère « social », ce que nos amis allemands appellent « économie sociale de marché ».
Déjà la crise des années 1970 et 1980 avait clairement posé la question des limites de la domination du modèle occidental et avait soulevé la question de ses fondements. Mais elle avait débouché sur un « cautère » néo-libéral qui, tout en conduisant à de nouveaux rapports sociaux, continuait à s’inscrire dans le même paradigme.
L’élément nouveau de la crise actuelle est qu’elle met en lumière les limites de ce modèle, en enchaînant les maillons financier, économique, social, écologique, culturel et politique, et qu’elle oblige à penser un nouveau paradigme et un nouveau modèle de « développement » (redéfinissant le sens et le contenu même de cette notion).
Prendre toute la mesure de la crise amène à mesurer l’ampleur des enjeux à aborder et des défis à relever pour repenser tout à la fois les rapports de l’homme à la nature, la place de l’économique et du marché, les relations entre société civile et « Etat », le politique et la gouvernance, les rapports sociaux, la subsidiarité, les relations internationales, les critères du « développement », l’intérêt général…
Personne n’a aujourd’hui réponse à ces défis. Mais la conscience de leur nature et de leur urgence rend nécessaire et possible d’engager ce vaste chantier. RAP y apportera sa modeste contribution, tant l’action publique est tout à la fois plus nécessaire que jamais et fondamentalement à reconstruire.
Pierre Bauby