Le net rejet par les électeurs français du traité constitutionnel européen appelle quelques remarques et de premiers enseignements.
Le premier élément relève d’un paradoxe. Que dans le contexte français actuel, marqué par une désaffection marquée à l’égard du président de la République, un rejet massif de la politique gouvernementale et en particulier de celui qui la conduit, la stagnation économique, le retour de l’augmentation du chômage, sans oublier le lundi de Pentecôte, il se soit trouvé autant d’électeurs pour approuver le texte européen manifeste l’ampleur de l’attachement des Français à la construction européenne, leur sentiment qu’elle est un des éléments clés de la maîtrise de notre devenir.
Si cela a cependant été insuffisant, il faut revenir ici sur cette mécanique très particulière du référendum en France, tel qu’institué par le général de Gaulle pour les raisons que l’on sait. Son emploi est tellement exceptionnel qu’il autorise toutes les dérives, du risque plébiscitaire par celui qui en prend l’initiative à l’instrumentalisation par les électeurs pour répondre à d’autres questions que celle qui est posée. A l’évidence, nos institutions ont besoin de compléter la démocratie représentative, qui craque de toutes parts, par des formes de démocratie participative, dont le référendum est une des formes d’expression. A condition d’en banaliser et d’en démocratiser l’usage. Gageons que si dimanche les électeurs avaient eu à voter plusieurs fois, par exemple pour annuler la loi Fillon, pour se prononcer sur une proposition du Front national consistant à interdire l’immigration et sur le traité européen, le résultat aurait été différent.
Ces éléments n’enlèvent rien au fait que les partisans du oui, et plus généralement de la construction européenne, dont l’auteur de ces lignes fait partie, doivent s’interroger sur les responsabilités qu’ils portent dans le résultat. Nous n’avons pas réussi à convaincre une majorité des Français des aspects positifs du nouveau traité. Pourquoi ?
Les explications sont nombreuses et remontent à loin. L’absence d’information régulière sur les raisons de l’intégration européenne, ses finalités comme ses réalisations ; la tendance générale consistant à considérer que tout cela est tellement compliqué qu’il faut mieux en parler le moins possible ; mais aussi l’instrumentalisation régulière de l’Europe pour la faire orchestrer des réformes en France, non seulement sans avoir à en assumer la responsabilité, mais bien souvent en lui en faisant endosser la paternité.
Nombreux parmi ceux qui ont promu le non ont procédé dans la même logique, utilisant le traité européen et le référendum pour des finalités personnelles, politiciennes ou stratégiques n’ayant aucun rapport avec le contenu du texte du traité constitutionnel.
Le mal est fait et il ne sert à rien de le regretter. Mais il faut en tirer les leçons. Ne rêvons au fait qu’une renégociation immédiate permettrait des améliorations substantielles, car dans le contexte actuel ce texte est, malgré ses imperfections, le meilleur de celui que l’on pouvait espérer. Il s’agit, bien plus pragmatiquement, de reprendre et d’amplifier les batailles quotidiennes avec les autres européens, pour donner un contenu plus politique, plus social et plus démocratique à chacun des grands enjeux de l’avenir de l’Europe. Mais aussi de remettre sur le métier le patient travail de construction d’alliances, c’est-à-dire de convergences avec tous les autres acteurs de chacun des Etats, en respectant leurs histoires, leurs institutions, leurs modes de pensée, leurs aspirations : l’Europe ne sera jamais le décalque ou la photocopie de la France, mais une construction originale fondée sur le rapport unité-diversités, unité de ce que nous faisons ensemble pour promouvoir nos valeurs et notre modèle social et contribuer à donner un autre sens à la mondialisation, diversités de nos cultures régionales et nationales, ainsi que des modes de traitement de chaque enjeu.
Sur ces bases, on pourra reconstruire l’action européenne, la refonder et la relancer. L’heure n’est pas à baisser les bras.
Pierre Bauby