A la veille du Conseil européen de mars 2014 consacré au quatrième paquet énergie-climat, Pierre Bauby revient sur l’histoire de la politique énergétique en Europe dans un essai publié par la Fondation Jean-Jaurès. Comment réaliser une véritable politique commune de l’énergie alors que la convergence par le seul marché a montré ses limites?

 

 

Synthèse :

Alors que l’énergie est présente dès les débuts de la construction européenne, sous la forme du charbon (CECA, 1951), puis du nucléaire (EURATOM, 1957), il faut attendre le traité de Lisbonne en 2009 pour que l’énergie devienne une politique commune de l’Union. Pourquoi un si long délai ? C’est que l’énergie a été vue sous l’angle de la réalisation des quatre grandes libertés de circulation du « marché unique » (des personnes, des marchandises, des services et des capitaux), avec l’objectif de construire un marché intérieur de l’électricité ainsi que du gaz ; mais ce processus a été déséquilibré au départ, puisqu’il ne s’accompagnait ni d’une politique énergétique commune ni d’objectifs européens en matière de solidarité et de cohésion.

Malgré les directives successives libéralisant le marché de l’électricité et du gaz (1996, 2003, 2009), des différences structurelles demeurent dans les systèmes énergétiques, les réseaux de transport et de distribution, la sécurité d’approvisionnement. Les obligations de service public ont été progressivement enrichies et étendues pour intégrer d’autres objectifs.

Les réflexions européennes depuis 2006 ont consisté à tenter de mener de front d’une part l’achèvement du marché intérieur, d’autre part une politique énergétique commune aux objectifs multiples : garantir la sécurité et la compétitivité d’approvisionnement, lutter contre le changement climatique, encourager l’innovation. Ce sont autant d’objectifs qui ne peuvent être atteints par les seules logiques de marché, ni par des politiques strictement nationales.

En 2009, le « troisième paquet énergie » généralise l’ouverture à la concurrence pour tous les consommateurs et reconnaît la capacité des Etats membres de définir les critères pour les capacités de production. Le Conseil des ministres européen énergie établit alors les objectifs « énergie et changement climatique » pour 2020 autour de la formule « 20-20-20 » pour 2020 (20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre, 20 % de part des énergies renouvelables, 20 % d’augmentation de l’efficacité énergétique).

Si la Commission constate dès 2010 les sérieuses difficultés pour mettre en œuvre cette stratégie, il n’y a aucune prise en compte des dispositions du traité de Lisbonne sur les services d’intérêt général, qui devraient permettre d’enrichir et de compléter les objectifs de marché, en référence aux valeurs communes recensées dans le traité.

À la veille du Conseil européen de mars 2014, la Commission européenne propose, pour le « quatrième paquet énergie-climat », d’accentuer les efforts pour atteindre 40 % de réduction de gaz à effet de serre et 27 % au moins d’énergies renouvelables en 2030. Mais pour la Commission, le principal moyen reste les mécanismes de marché et le mythe de l’achèvement du marché intérieur. On est encore loin d’une réelle politique énergétique commune telle que définie dans le traité de Lisbonne.

Les enjeux de vulnérabilité, de précarité et de pauvreté énergétique ont occupé une place croissante dans l’agenda européen avec les effets sociaux de la crise économique, l’augmentation des inégalités d’une part, et des prix de l’énergie de l’autre. Le droit actuel de l’UE fait entrer la problématique des consommateurs vulnérables parmi les obligations de service public (art. 3 de la directive 2009/073).

La pauvreté énergétique n’a pas encore de définition européenne commune (mais des définitions nationales dans dix Etats membres). C’est une réalité criante : en 2012, plus d’un consommateur sur cinq dans l’Union européenne a des difficultés de paiement de ses factures. Une véritable stratégie commune supposerait une convergence quant au diagnostic, des pistes pour des mesures européennes complémentaires des politiques nationales, en particulier en matière d’incitations. Pour certains acteurs, ces questions relèvent soit d’un principe de subsidiarité compris comme un repli sur les politiques sociales nationales, soit d’une confiance dans les « forces du marché » pour apporter les réponses.

En fait, une stratégie européenne de lutte contre la pauvreté énergétique impliquerait de conjuguer les apports respectifs de la concurrence et du marché pour les aspects où ils sont efficaces en matière énergétique, et des objectifs de politique publique et d’intérêt général. La précarité énergétique fait pleinement partie d’une politique énergétique commune respectant l’objectif européen de cohésion économique, sociale et territoriale.

Il y a à la fois besoin de « plus d’Europe » dans les domaines où l’Union est plus efficace que chacun des Etats agissant séparément, mais aussi de plus d’autonomies pour les autorités nationales et régionales afin de mieux prendre en compte la diversité des situations et des enjeux. C’est cette convergence européenne qu’il s’agit de construire.

 

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